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Expertise et "negative" equity

ANIL, Habitat actualité, mai 1999
Etude réalisée avec le concours de l'Observatoire des Pratiques du Conseil National de l'Habitat


Dès la deuxième moitié des années 80, la disparition de l'inflation a mis en lumière la perte de valeur qui affectait certains logements lors de leur revente. Depuis lors, la place de cette question dans les réflexions sur le financement du logement n'a cessé de croître, qu'elle soit envisagée du point de vue de la protection de l'emprunteur ou de celui de la sécurité du prêteur.

Elle est, aujourd'hui, singulièrement actuelle :

  • des parcours professionnels plus agités et des structures familiales plus fragiles font que l'éventualité d'une revente précoce du logement doit systématiquement être prise en compte ;
  • la dérégulation risque de favoriser des variations de plus grande amplitude du prix des logements ;
  • la mise en place de nouveaux instruments de refinancement, les obligations foncières, exige de nouveaux outils d'appréciation et de suivi de la valeur des gages.

Les anglo-saxons disposent d'instruments qui nous font défaut en matière de suivi des prix, et ont produit une littérature abondante sur la perte de valeur et singulièrement sur la " negative equity " ; c'est un concept dont l'utilisation pourrait être pertinente en France aujourd'hui.

Les risques liés à l'accession

Une opération d'accession à la propriété étant, par définition, financée par recours au crédit, elle comporte un risque qui pèse à la fois sur l'accédant / emprunteur et sur le prêteur. Ce risque est lié à la revente du bien, qui peut intervenir soit à l'initiative de l'emprunteur (par exemple en cas de mobilité géographique), soit à l'initiative du prêteur si l'emprunteur est défaillant.

Du point de vue du prêteur

Dans le cas d'un prêt hypothécaire, en cas de défaillance de l'emprunteur, le prêteur se rembourse sur la valeur du gage. Si celle-ci est inférieure au capital restant dû (compte tenu de l'ensemble des frais liés à la réalisation de la vente), il subit une perte.

Le prêteur doit donc s'assurer de la solvabilité de l'emprunteur ; il examine pour cela sa situation financière, le niveau de ses revenus, la stabilité de sa situation professionnelle, l'effort qu'il devra assumer pour faire face aux remboursements.
Il doit, autant que faire se peut, évaluer la valeur de revente du bien gagé et ajuster le montant du prêt en fonction de cette évaluation.

En ce qui concerne la valeur du gage, la première garantie du prêteur consiste à faire supporter le premier niveau de risque par l'emprunteur en exigeant de ce dernier un niveau minimum d'apport personnel. En cas d'interruption du projet, la probabilité que le produit de la revente soit inférieur au capital restant dû est, en effet, d'autant plus faible que le pourcentage d'apport est élevé.
Les règles prudentielles de chaque pays fixent un montant minimum d'apport personnel, ou ce qui revient au même, la quotité maximale du prêt (le " loan to value ratio " dans les pays anglo-saxons). Cependant, la volonté de favoriser l'accession sociale à la propriété conduit, sous une forme où sous une autre, à s'exonérer peu ou prou de ces règles : ainsi, en France, la quotité maximale de 80 % a-t-elle été portée à 90 % pour les prêts conventionnés et même à 95 % dans certains cas ; de même, aux Etats-Unis, la quotité des prêts destinés aux ménages les plus modestes peut-elle atteindre 97 %, mais une garantie offerte par une assurance vient alors compenser l'absence de la sécurité offerte par l'apport personnel.

Dans les pays anglo-saxons, une assurance, la " private mortgage insurance " aux Etats-Unis et la " mortgage indemnity insurance " en Grande-Bretagne, vient couvrir la part du prêt qui excède la valeur garantie par l'hypothèque (80 % de la valeur estimée du bien aux Etats-Unis et 70 % en Grande-Bretagne). Cette assurance garantit l'accès au crédit : c'est la raison pour laquelle, aux Etats-Unis et au Canada, elle est soit subventionnée, soit contre-garantie par la collectivité pour les ménages modestes qui sont ainsi protégés contre le recours en cas de revente déficitaire. Tel n'est pas le cas en Grande-Bretagne : en cas de sinistre, la " mortgage indemnity insurance " rembourse le banquier, mais peut se retourner contre l'emprunteur pendant douze ans, ce délai étant réduit à cinq ans en Ecosse.

L'assurance du gage contre l'incendie ou la destruction protège à la fois l'accédant et le créancier hypothécaire ; en Grande-Bretagne, elle est obligatoire et son coût est intégré au taux annuel effectif global. Il est même arrivé, à certaines périodes, que les prêteurs exigent à Londres des assurances contre les attentats. En revanche, l'assurance " décès-invalidité " n'y est pas obligatoire.

Dans le cas d'un prêt cautionné, le risque de perte est reporté sur l'établissement fournissant la caution. C'est ce dernier qui pourra se retourner contre l'emprunteur en cas de défaut de paiement ; c'est donc lui qui devra se prémunir contre ce risque, mais ses éléments d'appréciation seront identiques.

Du point de vue de l'emprunteur

Lorsque l'emprunteur, pour une raison quelconque, soit volontairement, soit après saisie par le prêteur ou l'établissement caution, revend son logement, trois cas peuvent se présenter :

  • La valeur de revente est supérieure ou égale au prix de revient de l'acquisition : c'est le cas le plus favorable, celui où l'emprunteur peut rembourser sa dette et récupérer sa mise initiale ;
  • La valeur de revente est inférieure ou égale au prix de revient de l'acquisition, mais supérieure au capital restant dû : l'emprunteur peut alors rembourser sa dette (pas de perte pour le prêteur), mais il ne récupère pas l'intégralité de sa mise de fonds initiale ;
  • La valeur de revente est inférieure au capital restant dû : dans ce cas, il y a perte à la fois pour l'emprunteur, qui ne récupère rien de sa mise initiale, et pour le prêteur (sauf dans le cas, rare, où le prêteur se retourne contre l'emprunteur et où celui-ci se révèle solvable).

Ce dernier cas est généralement mis en exergue : il correspond en effet aux situations les plus difficiles pour les deux intervenants. Se pose en effet le problème du relogement de l'emprunteur défaillant qui va perdre le logement acquis. C'est pourquoi des systèmes de garantie et de protection ont été mis en place pour tenter d'en limiter les conséquences.

L' "equity " ou valeur nette de l'actif immobilier

Définition

Couramment utilisé dans les pays anglo-saxons, le terme d' "equity ", qui n'a pas d'équivalent français clairement admis, désigne la différence entre la valeur d'un bien immobilier et le montant de la dette gagée sur ce bien. On peut le traduire par l'expression " valeur nette ", que nous utiliserons dans ce qui suit.

  • Si V est la valeur du bien et D le montant de la dette gagée sur ce bien, l' " equity " est : E = V - D

Plus particulièrement, les prêteurs anglo-saxons s'intéressent aux cas de valeur nette négative (E < 0). En effet, une situation de valeur nette négative est synonyme de risque potentiel, puisqu'en cas de revente, le produit de celle-ci ne couvrira pas l'intégralité du capital restant dû.

Lorsque la valeur nette est positive, mais inférieure au montant de l'apport personnel, on parlera de valeur nette insuffisante. Dans cette situation, le prêteur n'encourt pas de risque de perte, mais l'emprunteur ne récupérera pas sa mise de fonds initiale en cas de vente. En fait, pour que la valeur nette soit suffisante, il faut que la vente permette de récupérer, une fois le capital restant dû remboursé, la valeur actualisée de l'apport investi dans l'opération. Le choix du taux d'actualisation applicable peut faire l'objet d'une discussion ; nous le supposerons ici égal au taux d'inflation.

En résumé

Soit V0 la valeur initiale du bien (supposée égale au montant de l'opération), FP0 le montant de l'apport personnel, P0 le montant de l'emprunt, a le taux d'actualisation de fonds propres, V(t) la valeur du bien à la période t, CRD(t) le capital restant dû, FP(t) la valeur actualisée des fonds propres, E(t) la valeur nette.

On a alors :

  • FP0 = V0 - P0
  • CRD(0) = P0
  • FP(t) = FP0 (1+a)t
  • E(t) = V(t) - CRD(t)

Et les différents cas possibles sont les suivants :

Valeur netteE(t)risques
Suffisante

E(t) >FP(t)
Aucun
Insuffisante0 < E(t) < FP(t)     Risque de perte pour l'emprunteur
Négative E(t) < 0Risque de perte pour l'emprunteur et le prêteur

La valeur du bien qui intervient dans le calcul de la valeur nette est sa valeur de marché, ce que le propriétaire pourrait en tirer s'il revend le logement. Elle s'entend donc hors frais d'acquisition (frais de notaire, droits de mutation, inscription aux hypothèques). Ces frais représentent la différence entre prix d'achat (ce que débourse l'acheteur, au total) et le prix de vente (ce qui revient au vendeur).

Une notion utilisée dans les pays anglo-saxons et en Allemagne, mais inconnue en France

Des deux éléments qui comptent aux yeux du prêteur, la solvabilité de l'emprunteur et la valeur du gage, les Français, par tradition, mettent plutôt l'accent sur le premier, alors que les anglo-saxons privilégient le second ; chez eux, la valeur du gage fait systématiquement l'objet d'une évaluation préalablement à l'octroi du prêt. Le nom même de " mortgage " qui désigne, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, à la fois le prêt et l'hypothèque exprime bien cette primauté.

De plus, ces pays se distinguent de la France par un pourcentage plus élevé de propriétaires occupants et par une plus forte mobilité résidentielle. Aux Etats-Unis, la mobilité géographique n'est pas incompatible avec le statut de propriétaire occupant, et la revente suivie de l'acquisition d'un nouveau logement est une pratique courante. Si la durée prévisionnelle moyenne d'amortissement des prêts est de 29 ans, leur durée effective moyenne est de 7 ans. Au Royaume-Uni, les parcours résidentiels au sein du secteur de la propriété occupante comportent traditionnellement plusieurs étapes, avec l'acquisition d'un premier logement relativement bon marché, qui sera plus tard revendu en vue de l'achat d'un logement plus cher. La question de la revente du logement avant la fin du remboursement de l'emprunt s'y pose donc avec une acuité beaucoup plus grande qu'en France, où le logement acquis est le plus souvent considéré comme " définitif ". Ce fonctionnement suppose une fluidité du marché de l'accession et des prêts immobiliers qui ne peut être assurée si un trop grand nombre d'accédants sont en situation de valeur nette négative ou insuffisante. D'où l'attention portée à cette notion non seulement par les prêteurs, mais, plus largement, par l'ensemble des acteurs du logement.

En Allemagne, l'expertise est également obligatoire ; les règles prudentielles qui gouvernent la gestion des obligations foncières (" Pfanbriefe ") précisent que les créances réunies dans le pool de garantie doivent être des créances hypothécaires de premier rang dont la valeur d'estimation est inférieure à 60 % de la valeur des crédits. Non seulement l'évaluation initiale du gage y est obligatoire, mais cette valeur d'estimation fait l'objet d'une réévaluation permanente par l'administrateur fiduciaire qui gère le pool de créances et qui est garant son équilibre.

La création des obligations foncières va soulever des questions du même ordre en France, où, au contraire, l'évaluation du gage n'est en général pas effectuée. Elle serait d'ailleurs, nous le verrons plus loin, incompatible avec une politique d'aide à l'accession sociale orientée presqu'exclusivement vers le neuf. Les conseillers des ADIL sont frappés du fait que l'éventualité d'une revente est rarement évoquée par les accédants et que très peu de questions sont posées sur la valeur en cas de revente.

La pratique systématique de l'expertise reflète l'attention portée dans les pays anglo-saxons aux valeurs immobilières : une expertise sérieuse doit en effet nécessairement se fonder sur l'observation des valeurs. Ainsi, il existe au Royaume-Uni des bases de données sur les transactions immobilières fournissant des références pour les estimations et au moins deux indices de valeurs immobilières régionalisés. Grâce à ces outils d'observation, le phénomène de la valeur nette négative peut faire l'objet d'études détaillées (on peut citer, par exemple, une étude récente de Rob Thomas réalisée pour le Council of Mortgage Lenders en juillet 1996 : "Negative equity : outlook and effects") comportant notamment un chiffrage du nombre d'opérations concernées. En France, les seules sources de cette nature sont les bases de données notariales. La Chambre des Notaires de Paris gère et commercialise une base de références immobilières couvrant l'Ile-de-France. Elle publie, avec la collaboration de l'INSEE, un indice sur Paris depuis 1980 et sur chaque département de la petite couronne depuis 1990. Concernant la province, le Conseil Supérieur du Notariat publie depuis 1998 un indice sur les villes- centres de province de plus de 10 000 habitants ainsi qu'un indice sur chacune des cinquante plus grandes villes. C'est à partir de ces bases qu'il est possible de reconstituer des séries longues de prix ("Produits dérivés à sous-jacent immobilier" J. Friggit, février 1999) qui pourraient servir de base à un chiffrage de la valeur nette négative et de son évolution.

Causes possibles de valeur nette négative

A la date d'acquisition, la valeur nette est en principe positive ou nulle.

Cela signifie que la perte éventuelle qui résulterait d'une revente immédiate doit s'imputer intégralement sur l'apport personnel.
En règle générale, le prix de revient d'une acquisition immobilière est supérieur à la valeur " réelle " du bien acquis, définie comme le montant qui reviendrait au propriétaire en cas de revente immédiate.
S'il s'agit d'un logement de plus de 5 ans, le nouvel acheteur devra acquitter des droits de mutation et des frais de notaire pour l'établissement de l'acte de vente. Le vendeur devra, pour sa part, rémunérer l'intervention éventuelle d'un intermédiaire dans la transaction.
En France, la différence entre prix de revient et valeur se situe actuellement dans ce cas, entre 6 et 10 %, selon qu'il y a ou non intervention d'un intermédiaire. Elle est plus faible dans les pays anglo-saxons, en raison de droits de mutation moins élevés.
Dans le cas de la revente d'un logement acquis neuf ayant bénéficié d'une aide à la pierre, il faut y ajouter le montant de la décote (cf. étude de l'ADIL du Doubs : "Les facteurs d'évolution de prix des logements faisant l'objet d'une première mutation dans les cinq ans qui suivent leur achèvement" avril 1991) résultant du fait que le nouvel acquéreur ne pourra pas, pour sa part, bénéficier d'une aide équivalente ; cette décote est d'autant plus élevée que la contrainte financière qui pèse sur l'accédant aidé le conduit souvent à choisir une localisation peu recherchée.
C'est ce qui explique que la pratique de l'expertise soit incompatible avec une politique d'aide à l'accession sociale dans le neuf. Quelle serait alors la réaction d'un candidat à la construction qui constaterait que l'expertise, fondée sur une estimation de la valeur de revente, est d'un montant inférieur au coût de revient de son projet ? Il faut avoir conseillé des particuliers contraints à la revente, quel qu'en soit le motif, pour mesurer leur incompréhension devant la différence entre le prix de leur bien sur le marché et son coût d'origine qui, à leurs yeux, représente la " vraie valeur ".
Les acquisitions qui sont, dès leur réalisation, en valeur nette négative sont des opérations particulièrement risquées, à la fois pour l'accédant et pour le prêteur. Il faudra souvent de nombreuses années avant que la valeur nette redevienne positive, et pendant cette période, tout " accident " (baisse de revenu, chômage, séparation) dans la vie de l'emprunteur sera susceptible de mettre en péril l'achèvement de l'opération. De surcroît, même en l'absence d'un tel événement, cette situation rendra pratiquement impossible toute mobilité résidentielle. A l'inverse, la nécessité, par exemple pour des raisons professionnelles, d'un changement de lieu de résidence peut se révéler catastrophique pour l'accédant.
Ainsi, suite à la délocalisation des activités de leur employeur, des ménages se sont vus proposer un emploi qui impliquait un changement de lieu de résidence. La vente de leur logement ne suffisant pas à éteindre leur dette, ils ont choisi de conserver leur logement et de perdre leur emploi, espérant en retrouver un autre. Cet espoir ayant été déçu, ils n'ont plus pu faire face à leurs remboursements et risquaient donc, au bout du compte, de perdre à la fois leur emploi et leur logement.

La diminution de la valeur du bien

La situation de valeur nette négative peut également survenir postérieurement à la réalisation de l'opération, en raison de l'évolution à la baisse des valeurs immobilières.

De telles évolutions se produisent fréquemment sur les marchés locaux, en raison de difficultés économiques ou, comme dans l'agglomération parisienne au début des années 90, de l'éclatement d'une bulle spéculative ayant entraîné précédemment une forte augmentation de prix. Il est plus rare qu'elles affectent un vaste périmètre géographique, comme ce fut le cas en Grande-Bretagne au début des années 90. Selon l'étude du Council of mortgage lenders (CML) citée précédemment, le prix moyen des maisons au Royaume-Uni a diminué de plus d'un tiers, en termes réels, de 1989 à 1995. Cette baisse succédait à une période de forte augmentation dans un contexte inflationniste. Ce mouvement de prix, conjugué avec un niveau élevé des quotités des prêts aux accédants, s'est traduit par une augmentation considérable du nombre de ménages en situation de valeur nette négative. Estimé à 300 000 en 1990, ce nombre a atteint un maximum de 1,7 millions en 1993, pour diminuer depuis lors du fait de la remontée progressive des prix. Il restait toutefois proche du million en 1996.

Un tel mouvement de prix a un effet d'autant plus sensible qu'il se produit dans une période d'inflation très faible. Dans un contexte de forte inflation comme celui des années 70-80, il serait passé relativement inaperçu et n'aurait pas entraîné de phénomène notable de valeur nette négative, en raison de la hausse nominale des valeurs qui aurait partiellement occulté leur baisse en termes réels.

Conséquences d'une situation de valeur nette négative ou insuffisante

Un risque potentiel pour les accédants et les prêteurs

La conséquence la plus visible d'une telle situation est évidemment le risque de perte auquel elle expose prêteurs et emprunteurs, en cas d'impossibilité pour ces derniers de faire face à leurs remboursements. De fait, les situations de valeur nette négative concernent en premier lieu les plus vulnérables des accédants, qui sont, en général, ceux qui disposaient de l'apport personnel le plus faible. L'étude du CML montre en effet que les plus touchés ont été les primo-accédants et, plus généralement, les ménages ayant acquis des logements bon marché. La crise s'est d'ailleurs traduite par une augmentation considérable du nombre de saisies, volontaires ou non (au Royaume-Uni, les accédants en difficulté choisissent souvent d'abandonner leur logement, le "délaissement" (voluntary possession) au profit du prêteur), et des pertes des établissements prêteurs.
Ces derniers ont, en général, le droit de se retourner contre l'emprunteur pour tenter de recouvrer la dette résiduelle. En pratique, cette possibilité est rarement utilisée en raison du coût de la procédure et de sa faible probabilité de succès au vu de la situation financière des accédants concernés.
A contrario, la chute des prix de l'immobilier parisien n'a pas eu, pour les accédants du début des années 90 ni pour leurs créanciers, de conséquences aussi dramatiques. Ceci tient sans aucun doute aux caractéristiques de ce marché, où les acquéreurs sont dans l'ensemble des ménages aisés disposant d'un taux d'apport personnel conséquent.

Un frein à la mobilité

En cas de valeur nette négative ou insuffisante, l'accédant ne récupère pas, ou ne récupère qu'une petite partie de sa mise de fond initiale. Il est donc dans l'incapacité de financer une nouvelle acquisition, sauf à engager dans l'opération des fonds supplémentaires. La baisse des prix aura donc pour effet de freiner la mobilité résidentielle au sein du secteur des propriétaires occupants. Aux ménages qui, par exemple pour des motifs professionnels, se trouvent dans l'obligation de déménager, elle imposera un effort d'épargne supplémentaire.
Cette entrave à la mobilité ne peut que contribuer à rendre le marché du logement moins fluide, renforçant en cela la tendance au ralentissement de l'activité qui s'observe habituellement en période de baisse des prix.

L'expertise permet-elle d'éviter la valeur nette négative ?

L'exemple britannique montre clairement que l'expertise du gage n'est pas en soi une assurance tous risques. Encore faut-il que les règles prudentielles appliquées par les prêteurs soient suffisamment strictes : cela n'a manifestement pas été le cas en Grande-Bretagne, si l'on en juge par le pourcentage d'opérations financées à 100 % par l'emprunt, qui atteignait 30 % en 1990 ! D'autre part, l'évaluation ne vaut qu'au moment où elle est réalisée, elle ne préjuge en rien des évolutions ultérieures des prix.

Les auteurs de l'étude soulignent, à cet égard, le caractère exceptionnel de la crise, à la fois par son étendue géographique et par l'importance de la baisse des prix. On peut néanmoins se demander si des mouvements de prix d'ampleur comparable sont susceptibles de se produire dans d'autres pays que le Royaume-Uni, par exemple en France. Poser cette question conduit à s'interroger sur les moyens de régulation des marchés immobiliers.

A la lumière de l'expérience britannique, on est tenté de suggérer que les règles prudentielles appliquées par les prêteurs devraient être adaptées à la situation du marché. En période d'augmentation des prix, les conditions d'octroi du crédit devraient être plus sévères et imposer notamment des taux d'apport personnel élevés : un tel ajustement permettrait de prévenir d'éventuelles baisses de prix ultérieures, il aurait également un effet régulateur sur l'activité du marché en rendant plus difficile, dans de telles périodes, l'accès au crédit. En période de détente, les règles devraient au contraire être assouplies, puisque le risque de baisse des valeurs serait plus faible. C'est exactement l'inverse qui s'est produit en Grande-Bretagne, où l'on a vu diminuer fortement la quotité moyenne des prêts à partir du moment où les prêteurs ont pris conscience de l'importance du phénomène de valeur nette négative. Le pourcentage d'opérations financées à 100 % par l'emprunt est ainsi passé de près de 30 % en 1990 à 2 % en 1995. Une observation du même ordre peut être faite en France quant au niveau de fonds propres exigé des promoteurs : il s'est réduit jusqu'à devenir nul pendant la période de hausse des prix, pour redevenir très élevé après l'effondrement de 1990.

L'exemple britannique montre que la pratique systématique de l'évaluation du gage ne suffit pas à écarter le risque de perte à la revente, elle est au demeurant inenvisageable en France dans le contexte actuel d'une aide à l'accession sociale principalement orientée vers le neuf.

Cependant, tout donne à penser que l'économie de l'accession à la propriété devra fortement évoluer en France : elle est actuellement fondée sur le modèle d'une société très peu mobile, dans laquelle l'achat d'un logement est conçu comme une opération définitive, illimitée dans le temps. C'est ce qui explique que les prélèvements soient assis sur les droits de mutation, dont le niveau est encore très élevé, c'est aussi ce qui motive le peu d'attention portée à la valeur des logements et l'absence de statistiques fiables dans ce domaine : pour l'accédant qui n'envisage pas de revendre, la comparaison significative est celle qui rapproche loyer et charges de remboursement et non celle qui met en regard capital restant dû et valeur de revente ; de la même façon, la stabilité professionnelle de l'emprunteur constituait-elle une garantie suffisante pour que les prêteurs se dispensent de porter attention aux opérations financées. Ce temps a, malheureusement, toute chance d'être révolu.

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